Si un chef d’État n’est jamais vraiment neutre, impartial et indépendant comme un médiateur, les démarches de la diplomatie et de la médiation ont en commun la conviction que pour maintenir des liens entre les personnes et contribuer à trouver des solutions qui font cesser le feu du conflit, il y a un moyen humain, profondément humain : la parole.
Il est pourtant très difficile de se parler quand on est en colère voire plein de haine pour l’autre. C’est parfois hors de notre portée de mettre des paroles sur ce qu’on ressent, de supporter de voir l’autre en face de soi, même au bout d’une longue table.
La démarche de médiation rend possible l’échange avec ce chef, ce collègue, cet·te associé·e, ce proche qu’on n’aime pas, qu’on n’aime plus et qu’on n’a surtout pas envie de voir en chair et en os. Comment se parler en plein conflit ?
Les médiateurs appliquent une règle de trois : la parole, le tiers, le cadre.
Entrer en médiation, c’est prononcer des paroles
Lorsqu’un médiateur rencontre en entretien individuel une personne en conflit, sa première proposition est souvent : « dites-moi ce qui se passe pour vous ». Le médiateur invite ainsi la personne à exprimer, à verbaliser son conflit, à libérer ce qu’elle a sur la conscience ou sur le cœur. La parole permet de « vider son sac » et l’écoute du médiateur permet d’être entendu·e, d’être reconnu·e dans ce que l’on vit de pénible ou douloureux. Le médiateur demande ensuite « seriez-vous prêt·e à dire cela à l’autre personne ? ». Plus qu’au médiateur, c’est à l’autre que la parole est à adresser. La médiation crée les conditions pour faire savoir à l’autre, par la parole, ce qui est important pour soi.
Aller en médiation, c’est entendre des paroles
Le pendant de l’expression, c’est l’écoute. Au début d’une réunion plénière de médiation, en présence de tous, il est quasi impossible d’entendre l’autre. Ce qu’on a à dire soi-même est prioritaire, ce que dit l’autre est souvent insupportable à entendre. Mais au fil des échanges facilités par le médiateur, chacun va accepter d’entendre ce qui est important pour l’autre. Entendre des faits, des points de vue qui peuvent surprendre. Clarifier des malentendus par l’échange. Se tenir près l’un de l’autre et se regarder de nouveau dans les yeux. Découvrir que ce qui a eu un impact si négatif pour soi était porté par des intentions toutes autres.
Le tiers au service des personnes en conflit
En se plaçant entre des personnes en conflit, le médiateur fait tiers et permet à chaque individu de ne pas s’adresser directement à son adversaire ou ennemi, mais à une personne impartiale, sans alliance, sans parti pris. Ce tiers va écouter avec bienveillance, va « entendre mon point de vue », ce qui me tient tant à cœur, « m’aider à me faire entendre » par l’autre. Alors que “l’autre ne m’écoute pas ou plus« , le médiateur « me permet d’exprimer sans être interrompu ce qui me prend la tête » … ou les tripes. Le tiers n’a pas d’enjeu personnel dans le conflit, il·elle peut « entendre tout ça » sans contredire.
Dans la vie quotidienne, vous pouvez être amené à jouer de temps en temps un rôle de médiateur entre des personnes en désaccord. Mais quand un conflit est là et qu’il y a une escalade dans les tensions, pour éviter d’être soi-même entraîné dans la « bagarre », il vaut mieux faire appel à un médiateur bien formé et préparé à entrer dans l’arène où s’affrontent les belligérants.
Un cadre sécurisé pour protéger la parole
Si on laisse les personnes engager la conversation « comme d’habitude », il y aura des discours, des silences, des « il faut que », des « tu dois » mais très peu d’écoute. Il est probable que chacun campe sur ses positions, que la discussion « tourne en rond » comme un manège infernal. Dès la première rencontre avec les personnes en conflit -les médiés-, le médiateur définit des conditions pour faciliter l’échange.
Le médiateur pose un cadre, des « règles du jeu » pour que la parole soit respectée. Souvent, au cours de la médiation, il prend le temps de rappeler ce « contrat de parole » convenu entre toutes les parties : respecter la confidentialité, ne pas couper la parole, accepter de dire ce qui est important pour soi.
Pour permettre une expression la plus libre possible, les échanges sont par défaut confidentiels, sauf ce que les personnes participantes décident ensemble de faire savoir. Cette discrétion permet à chacun de parler sans risquer que ses propos ou ses émotions soient ensuite rapportés ou retenus contre lui. Un engagement de confidentialité est demandé à chaque participant·e et les médiateurs ne font aucun rapport à quiconque sur les échanges.
Les médiateurs prennent le temps de voir avec les participants ce qu’ils souhaitent faire savoir à l’issue de la médiation et comment ils décident de le faire savoir.
Enfin, le médiateur organise la rencontre dans un lieu différent de celui où les gens travaillent ou vivent. Un lieu « neutre » pour chacun évite que la discussion se déroule dans un espace évoquant une place, un rôle qu’il tient au quotidien : « le bureau du chef », « la salle de réunion où on s’engueule », « ce site où je ne peux plus mettre les pieds ». Et idéalement, sans table, pour éviter que le mobilier ne se transforme en rempart qui freine le dialogue authentique avec l’autre.
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“Renverser la table”, se faire confiance et oser de nouveau se parler en présence d’un tiers, c’est le courage dont font preuve les personnes que nous accompagnons en médiation et qui, bon an mal an, s’efforcent de faire cesser le conflit et d’écrire une nouvelle page de leur histoire. Ensemble ou séparément.