La sortie en salles d’un film dédié à la justice restaurative est à célébrer lorsqu’on est médiateurs·rices. “Je verrai toujours vos visages” de Jeanne Herry dévoile les coulisses de rencontres entre victimes et auteurs d’agressions. Des regards, des émotions, un bâton de parole, des chaises et progressivement un dialogue qui se met en place. Au cœur de ce dispositif, des “animateurs·rices” dont certain·e·s se présentent comme médiateurs·rices.
Justice restaurative, médiation : parle-t-on de la même chose ?
La question nous a souvent été posée depuis la sortie du film : “et alors, c’est ça que tu fais en médiation ?”.
Au risque de vous décevoir, la réponse est plutôt non.
En médiation, nous travaillons à faire dialoguer des personnes en conflit qui se connaissent au préalable. Le dialogue est difficile entre elles, voire inexistant. Ces personnes nous saisissent pour retrouver une communication, ponctuelle ou pérenne. Les médié·e·s ont une histoire commune, une forme de dépendance qui les obligent à être en relation : partage d’un bureau, appartenance à une même équipe, à une fratrie, à une association, enfants en commun, immeuble commun.
Dans ces conflits, il y a pu y avoir de la violence verbale, des phrases blessantes et même traumatisantes. Nous entendons souvent à quel point la parole de l’autre a profondément heurté et nous mettons tout en œuvre pour que cela soit également entendu par l’ensemble des médié·e·s.
Le film de Jeanne Herry ne porte pas sur des conflits interpersonnels : il met en scène des dispositifs de justice restaurative suite à des violences physiques, des agressions. L’intégrité physique et psychique des personnes ont été mises à mal. Et comme le film le montre, la justice restaurative intervient après la condamnation de coupables.
L’égalité de places en médiation
Dans la justice restaurative, les places sont claires : victimes d’un côté, auteurs de l’autre. Certes les animateurs et animatrices formé·e·s à la justice restaurative accompagnent aussi bien les uns que les autres. De ce point de vue là, ils partagent avec les médiateurs·rices la posture d’impartialité.
Cependant, en médiation, les places ne sont pas assignées et les étiquettes, elles, sont suspendues. Viennent en médiation des personnes, à place égale. Les médiateurs·ices ne décident pas au préalable la place de chacun-chacune dans la pièce. La parole de l’un et de l’autre a la même valeur, en dépit des relations hiérarchiques notamment.
Nous attachons un soin particulier à cette égalité de place : si le manager monopolise la parole en médiation, à quoi sert-elle ? Si une personne discrète dans le collectif ne souffle mot en médiation, pourquoi laisser rejouer la même scène que d’habitude en présence des médiateurs·rices ? En médiation, les personnes sont invitées à parler sans étiquette.
Des processus différents
Le film met l’accent, à raison, sur la préparation à la rencontre. Cette étape est également essentielle en médiation mais peut prendre d’autres formes.
Les entretiens préparatoires durant lesquels le médiateur · la médiatrice voit en tête à tête les médié·e·s sont moins nombreux que dans le film. Un seul entretien suffit généralement à travailler les attentes, les freins, les besoins pour rencontrer l’Autre en médiation de conflit. Dans certains contextes, il peut y en avoir un deuxième mais l’objectif reste de réunir rapidement les personnes directement concernées par le conflit.
Le film montre un long travail et dans lequel la médiatrice se fait parfois messagère entre les deux personnes. En portant la parole de l’autre, le risque pour le tiers est de n’être plus tout à fait au milieu.
Enfin, le déroulé de la rencontre en médiation, jamais linéaire nous le reconnaissons, suit néanmoins toujours les mêmes étapes conceptualisées par Thomas Fiutak.
Le dialogue en commun
Pour autant, la justice restaurative et la médiation sont traversées par une même croyance dans le pouvoir de la parole. Les différends, la souffrance, les émotions se parlent en présence de l’Autre et cela contribue à la restauration d’un lien, interpersonnel ou social, à l’estime de soi, à l’empouvoirement.
Les professionnel·les de la médiation et de la justice restaurative ont pour seul objectif de créer les conditions favorables au dialogue. Rendre le dialogue possible comme unique objectif, sans obligation de résultats (décisions, solutions, plans d’actions, etc), cela peut paraître anodin. Mais comme le montre très bien ce film, réunir des personnes en conflit dans une même pièce est un vrai travail de fourmi. La présence du tiers à elle seule est la pierre angulaire de ce dispositif : sans lui, la rencontre est impossible.
Le film rend également justice à la formation nécessaire pour accompagner les personnes en médiation ou dans des dispositifs de justice restaurative. Participer à ce type de confrontation demande énormément de courage de la part des personnes concernées. Se former et être supervisé·e par la suite fait partie de notre déontologie. C’est un pré-requis pour faire tiers dans des moments de forte tension ou de décharge émotionnelle. Pour que celles et ceux qui se dévisagent en entamant la rencontre puissent de nouveau regarder l’Autre et envisager un nouveau chapitre à une histoire commune et singulière.