Retour d’expérience de médiateurs dans l’arène du Grand Débat National

 

En début d’année, lorsque a émergé la possibilité de décliner localement le Grand Débat National (GDN) sous forme de réunions d’initiative locale, de nombreux élus et décideurs se sont interrogés : qui allait faciliter ces débats ? Qui pourrait préserver une qualité de dialogue telle qu’il ne tourne pas à la joute oratoire ? Quelle instance serait suffisamment légitime pour être acceptable par l’ensemble des participants ? La réponse a parfois été : des médiateurs ! Et c’est ainsi qu’entre début février et mi-mars, nous avons facilité une vingtaine de débats. Un Deux Tiers s’est retrouvé embedded (embarqué) dans le GDN.   

Des maires en quête de tiers

En première ligne dans la mise en œuvre du Grand Débat, nombreux ont été les maires à se tourner vers l’Association Nationale des Médiateurs (ANM) pour assurer l’animation, voire la restitution des réunions publiques organisées dans ce cadre.

Acteurs majeurs de la démocratie locale, comment expliquer qu’un maire ou les membres d’un conseil municipal cèdent à des tiers médiateurs leur place de corps intermédiaire, de facilitateurs tout naturellement désignés ?

Dans les localités où nous sommes intervenus, plusieurs facteurs semblent avoir conduit à cette décision :

Pour certains maires, la perspective d’élections municipales très proches (mai 2020) rendait impossible ou périlleux l’exercice d’un rôle de facilitation neutre. Il était d’ailleurs attendu de nous, médiateurs, que nous veillions à ce que les élus présents dans la salle conservent une posture d’écoute silencieuse et n’accaparent pas le débat.

D’autres ont exprimé la crainte de ne pas savoir « répondre » en cas de débordements ou face à des sujets « difficiles » ou du ressort de leur gestion municipale. Ils ont insisté sur la nécessité d’un cadre permettant de libérer la parole dans le respect de celle de chacun et des valeurs de la République.

Dans les grandes villes, il n’était physiquement pas possible de faciliter un débat à plusieurs centaines, voire milliers de personnes dans les délais impartis.

Saisissant l’importance du moment et le caractère inédit de l’exercice du GDN, certains élus ont souhaité qu’une écoute « professionnelle » soit offerte aux citoyens qui se déplaçaient pour participer aux réunions locales.

De notre expérience, le soutien des médiateurs a été apprécié tant par les organisateurs que par les participants, même si la frustration de ne pas pouvoir se répondre directement ou d’échanger plus en profondeur a bien été ressentie par certains participants.

Médiation ou facilitation ?

Contrairement aux situations de conflit pour lesquelles nous appliquons strictement la méthodologie de la médiation, nous avons pratiqué, dans le cadre du GDN, un rôle de facilitateurs. Même si bien sûr il y a eu l’expression d’opinions divergentes, de représentations contradictoires et de ressentis antinomiques, nous n’intervenions pas dans le cadre d’une gestion de conflit identifié (sauf peut être entre les participants et la classe politique…). Nous avons par conséquent ajusté nos méthodes tout en restant fidèles à notre cadre. Une grande part de notre activité a été vouée à la restitution, en direct, pour s’assurer de la compréhension de ce que partageaient les participants puis en différé lorsque les organisateurs demandaient des compte-rendus pour transmission à la Mission du GDN.

La facilitation consiste à rendre le travail d’un groupe plus aisé grâce à l’intervention d’un tiers extérieur. Les facilitateurs apportent de la méthode pour optimiser l’efficacité du travail collectif et pour que chacun y trouve sa place.

Notre savoir-faire de médiateurs a été utile pour fixer un cadre respectueux de chacun et assurer une certaine qualité d’écoute entre les participants. En introduction de chaque réunion, nous rappelions les principes fondateurs de la posture du médiateur :

    indépendance : Nous ne représentions personne, ni l’autorité organisatrice localement, ni la mission du Grand Débat National, ni le Gouvernement.

     impartialité : La parole est distribuée de manière équilibrée et équitable, nous veillions à ce que tous ceux qui souhaitaient s’exprimer puissent prendre la parole

     neutralité : en tant que citoyens, nous avions un avis sur les sujets débattus, mais nous ne partagions pas nos opinions et nous engagions à restituer fidèlement les propos exprimés.

Une vingtaine de débats au compteur

Entre début février et mi-mars, nous avons facilité une vingtaine de débats, majoritairement en Normandie et en Ile de France. Sensibles à l’appel de l’ANM d’apporter notre pierre à l’édifice d’une « opération citoyenne dans un moment grave de notre vie collective », nous avons pris de notre temps personnel les soirs et les weekends pour faciliter des débats d’initiative locale.

Les groupes que nous avons accompagnés étaient variés mais la moyenne d’âge était assez élevée et les moins de 35 ans (la génération Y), très peu nombreux. Dans certains lieux, les « gilets jaunes » étaient venus en nombre, parfois nous n’en avons pas vus ou en tout cas personne ne s’est revendiqué de ce mouvement. Ils ont en revanche été remerciés d’avoir rendu possible (malgré eux ?) une telle consultation nationale.

Comment savoir si le Grand Débat National aura apporté la réponse appropriée aux questions soulevées par leur mouvement ? Nous pouvons témoigner qu’il a répondu à l’aspiration des personnes croisées dans ces débats majoritairement nocturnes d’être en lien. De se retrouver dans un lieu public pour échanger des idées, exprimer sa colère contre les élus et les inégalités, mais aussi contribuer au dialogue et à un projet collectif pour le pays où l’on remettrait « de l’humain » au centre.

Dans chaque débat, la question est revenue de ce qui serait fait de cette pluralité d’expressions. Car dans l’échelle de participation, ce Grand Débat National n’était pas clairement situé: ni consultation, ni concertation, ni négociation. De notre point de vue de médiateurs, le « Comment vraiment »  reste encore à écrire. C’est à dire que le GDN n’a pas permis de déboucher sur des engagements réciproques, des actions concertées, un accord, ultime phase d’une médiation classique.

Pour autant, nous avons pu contribuer à faire connaître la médiation et, à notre mesure, à faciliter l’expression et l’écoute des citoyens qui ont participé à ce processus inédit.

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2 Responses
  1. JLuc, médiateur

    Bonjour,

    merci pour ce retour d’expérience. J’ai une question :

    quelle était à l’époque votre connaissance sur ce qui avait amené la CNDP à refuser les demandes du président Macron ? Qu’en pensez-vous aujourd’hui ?

    Sincères salutations

    1. Un Deux Tiers

      Merci pour votre question qui nous interpelle sur deux questions essentielles en médiation : le cadre et la relation avec le mandant.
      La CNDP a refusé que le mandant lui impose un cadre, ou plutôt a souhaité pouvoir négocier ou faire préciser le cadre, pour conserver son impartialité, son indépendance, sa neutralité. Nous nous sommes posés la même question quand nous avons été contactés par des maires. Notre situation était différente car nous n’étions pas en situation de subordination et que nous avons pu négocier notre façon de faire. Nous avons proposé des protocoles d’animation qui ont été acceptés. Nous avons pu les expliquer en introduction des débats et répondre aux questions des participants.

      Avec le recul, comme indiqué dans l’article, nous pensons que nous avons facilité l’expression et l’écoute. Nous avons le sentiment d’avoir préservé notre impartialité et notre neutralité. Là où nous rejoindrions a postériori la CNDP, c’est dans l’impossibilité d’approfondir les solutions proposées par les citoyens présents. Nous sommes restés dans un rôle de collecte, sans avoir la possibilité de travailler sur la concrétisation. Les citoyens ont été responsabilisés sur les constats et la recherche de solutions mais pas sur la définition collective de priorités, ni sur la concertation s’agissant de leur mise en œuvre concrète.

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